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@ La Quinta
26 octobre 2007

Rencontre avec Christian LEHMANN

Il fait partie de ceux qui, lucides, essaient depuis des années de nous ouvrir les yeux sur la privatisation annoncée de la sécu. Sur la soumission progressive d'un système solidaire à une logique purement économique et financière. Sur le poids des lobbys. Sur les vessies qu'on veut nous faire prendre pour des lustres en verre de Murano.

Il a lancé une pétition en ligne, en avril 2007, contre les "franchises médicales"... qui n'ont de franchise que le nom, et sont une véritable taxe sur les malades. Plus de 75 000 signataires à ce jour, alors que les relais médiatiques ont été confidentiels.

Comme lui, je suis convaincue de la nécessité d'informer. Parce que, si notre système de santé a besoin d'évoluer, en profondeur, cela est possible dans un système solidaire. Je vous en parlerai plus en détails... Je n'ai rien à vous montrer en tricot, couture, macramé ou mosaïque.
Par contre, je peux partager avec vous, puisque cela vous concerne aussi, ce qui m'occupe les neurones, l'agenda et les tripes en ce moment.

Voici donc une interview du Dr Christian Lehmann, que nous avons écrite à 4 mains. Allez aussi sur son blog, son style caustique est un régal à lire... Et vous pouvez aussi signer la pétition en ligne.

lehmann_LF

Christian Lehmann, vous tirez la sonnette d’alarme depuis des années. Dans votre livre « Patients, si vous saviez… » en 2003, vous dénonciez l’approche purement comptable de la santé en France, et les agissements scandaleux de l’industrie pharmaceutique. Dans le manifeste de décembre 2004 vous attirez l’attention sur la tartufferie de la mise en place du système du « médecin traitant », dictée par des logiques financières et corporatistes. Aujourd’hui, votre « appel contre les franchises » est moteur d’une résistance qui gronde de plus en plus fort.
Alors que le gouvernement attaque la santé sur tous les fronts (hôpital, médecins, franchises…) estimez vous que c’est la question des franchises qui est centrale ?

CL : Disons que c’est le symptôme le plus criant de la dimension idéologique de la réforme voulue par Nicolas Sarkozy. Notre système de santé est avant tout solidaire. Tout le monde, malades comme bien-portants, contribue à son financement, et ceux qui en ont besoin en bénéficient.
Si on escamote comme le fait Nicolas Sarkozy le mot : « solidaire » lorsqu’on parle d’assurance-maladie, on se retrouve avec un simple problème de prestation commerciale. Lorsque Philippe Juvin, responsable du programme santé de Nicolas Sarkozy, estime que, si les français peuvent dépenser 50€ par mois pour leur téléphone portable, pourquoi pas pour se soigner, et qu’il ajoute « les français peuvent, légitimement, en toute liberté, faire des choix. Et ça les responsabilisera, vous verrez…  Les abus, ça sera fini », je crois halluciner !

« Responsabiliser » les dialysés, les cancéreux, les accidentés du travail, c’est la grande innovation portée par la réforme Douste-Blazy en 2004, et qui s’étend aujourd’hui. Du point de vue de l’éthique médicale, c’est un tour de passe-passe d’une malhonnêteté intellectuelle consternante ! Comme si on choisissait d’être malade !

Voulez-vous dire, par là, que les franchises médicales ne sont pas une simple mesure destinée à combler le déficit de la sécu, mais le premier pas vers une réforme ultra-libérale de notre système de santé ?

Oui. Tout est en place pour cela.

D’abord considérer que le malade est un « consommateur » de soins, le médecin ou l’hôpital un « producteur » de soins, et l’assurance maladie une « couverture des risques ». Ensuite marteler l’idée que le patient abuse, qu’il est irresponsable, que ses comportements de santé sont « irrationnels » et qu’il faut donc mettre fin à des « abus » par la nécessaire « responsabilisation » financière des patients : c’est le concept trouvé par la droite pour justifier la destruction du système solidaire, et se dédouaner de détruire cet héritage de la Résistance. La réforme Douste-Blazy demande aux généralistes de réduire prescriptions et arrêts de travail en échange d’une éventuelle augmentation tarifaire, alors que dans le même temps les médecins spécialistes sont augmentés sans ce type de contrepartie.

Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy demande « y a-t-il une assurance sans franchise ? » et répond (évidemment) « non ». Il affirme, cet été, au sujet de la maladie d’Alzheimer, après avoir inventé que la franchise n’est plus là pour « res-pon-sa-bi-li-ser » les malades mais pour mieux prendre en charge l’Alzheimer, que : « la dépendance des personnes âgées est un risque assurable, qui peut être couvert par des produits financiers innovants ». Il utilise ainsi Alzheimer à la fois pour légitimer les déremboursements, et pour ouvrir le champ de la dépendance aux assurances privées.

On est dans une logique de privatisation, extrêmement dangereuse. Il n’y a qu’à voir le film de Michael Moore « Sicko », qui montre comment un cancer, un infarctus, peut précipiter un couple de la classe moyenne dans la misère.

Car les assurances privées qui, déjà aujourd’hui, vous proposent une couverture complémentaire alléchante, dès le 1er Euro, pour une cotisation modique, oublient juste de vous préciser un petit détail : ça c’est tant que vous êtes jeune et en bonne santé. Quand vous serez vieux, ou malade, les termes du contrat seront rediscutés. Et là c’est la cotisation qui sera forte, et les remboursements modiques.

Les médecins, notamment les généralistes, les associations de malades, les syndicats, les partis politiques commencent à être fortement mobilisés, quelles que soient leurs tendances politiques, à l’exception, bien-sûr de l’UMP et du MEDEF. Pensez-vous que l’opinion publique a conscience de la gravité et de l’urgence de l’enjeu ?

CL : Non, pas suffisamment. Un récent sondage indique que 70% des français sont contre les franchises. Je vois, dans mon cabinet, des patients qui ont voté Sarkozy et me disent « oui, mais je n’ai pas voté pour ça ». Je leur réponds « Ah… mais c’était pourtant dans son programme ! »

J’ai l’impression, en ce moment, d’être comme David Vincent dans « les Envahisseurs » ! Nous sommes à un moment-charnière, où un gouvernement s’apprête à modifier irrémédiablement le système, où tous les français, sauf un petit nombre de « riches » va souffrir de manière dramatique de cette réforme.
C’est tout de suite qu’il faut se battre. Quelques personnalités un peu médiatiques ne remplaceront pas une vraie mobilisation de masse. Car tout le monde est concerné, pas uniquement les médecins et les malades.

Comment imaginer qu'en France, peu à peu, des malades soient obligés de renoncer à se soigner parce qu'il n'en ont pas les moyens ? C'est la réalité quotidienne aux USA.

Docteur... Peut-on encore sauver la Sécurité Sociale, ou sommes-nous actuellement dans l'acharnement thérapeutique ?

CL : En 2002 il n'y avait pas de déficit. Comment en sommes-nous arrivés, en 5 ans, à un gouffre de 12 milliards d'Euros ? Je crois que ce n'est pas par hasard. Le vrai problème, ce n'est pas le « trou de la sécu » qui n'est qu'un symptôme de la mauvaise gestion du gouvernement depuis 5 ans, mais la désorganisation savamment entretenue du système de santé, et en particulier l’absence totale d’investissement sur les soins de premier recours.

Rendre la sécu aussi malade, cela permet à Nicolas Sarkozy d'expliquer que, pour la « sauver » il est « obligé » de prendre certaines mesures.

La question cruciale qu'escamote Nicolas Sarkozy, c'est celle des recettes de la Sécurité Sociale. Aller chercher 850 millions d'euros en menue monnaie dans la poche des malades ne résoudra évidemment pas l'équation financière de la Sécurité Sociale. Il serait urgent de se pencher sur les exonérations dont bénéficient de nombreux revenus financiers. Quand Philippe Seguin, à la Cour des Comptes, révèle que la seule taxation des stock-options ramènerait 3.5 milliards dans les caisses, le gouvernement fait mine de s'y intéresser... mais propose une taxation minimaliste, préférant comme toujours privilégier les revenus financiers aux revenus de ceux qu'on somme de travailler plus pour gagner plus...

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Commentaires
M
étant donnée l'ambiance actuelle ça fait du bien de lire quelques lignes de lucidité !<br /> merci de rappeler combien nous avons de la chance d'évoluer dans le système de protection qui est le notre et de rappeler combien il est important de se battre pour le conserver !
M
très, très intéressant cet article!! Merci pour ce rappel...
M
que j'ai plaisir à te lire ! quant au trou de la sécu, entre 2000 et 2005 un vilain a piqué dans la caisse... et on en n'a plus jamais entendu parler - autre exemple : en région centre-ile de france, c'est la caisse du sictom de rambouillet (centre de tri et recyclage) qui a été tirée par "un responsable"-en clair, j'imagine, un qui a porté le chapeau, a été remercié, payé, puis réembauché ailleurs- mais probablement pas celui qui a empoché le gros du hold-up - les truands ne sont plus sur les routes, mais dans nos murs, la vérité si je mens !
A
Merci pour ce post. J'aime bien quand au cour de ma petite promenade quotidienne sur les blogs, je recontre des gens qui sont inquiets sur ce type de problèmes, pour eux, bien sûr, mais aussi par solidarité avec les autres. Cela devient si rare dans nos sociétés...
C
Eh bien heureusement que tu n'as pas à te poser ce genre de questions. L'allergie de ton fils, est-ce un choix? S'il était diabétique? Insuffisant rénal? que ressentirais-tu alors, si, comme des millions de mères américaines (ou autres...) tu ne pouvais pas le soigner, soulager sa douleur ou sa gêne?<br /> Que tu hésites à lui acheter des fringues chez Bonpont ou une console de jeux, pas de problème. Mais la santé, et encore moins les soins, ça ne DOIT pas être une question de choix, mais un droit. <br /> Ne culpabilise pas pour tes 350 euros. regarde plutôt les infos. Des milliards de "cadeaux fiscaux", à ceux qui en ont le moins besoin. Ca suffit de faire culpabiliser les mères de famille qui soignent leurs enfants!<br /> Bises à ton poussin, c'est pas drôle d'être allergique (j'en ai un, asthmatique, à la maison)
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